Parler de problèmes éthiques, c'est parler d'éthique appliquée,
c'est chercher à résoudre un conflit de valeurs. C'est chercher à savoir, dans
une situation où je vis un malaise, quelle valeur je vais privilégier en même
temps que chercher à rattraper la valeur que je n'ai pas choisie. Alors, pour
aider à comprendre, j'aurai besoin, en premier lieu, de définir ce qu'est
l'éthique, l'éthique appliquée et les valeurs.
L'éthique
Souvent, dans la littérature et le quotidien, le terme
«éthique» est employé au même sens que «éthique appliquée», alors que dans
l'expression «éthique appliquée» il y a bien deux termes: soit «éthique» et «appliquée»,
c'est donc dire qu'avant même qu'elle soit appliquée, l'éthique existe. Je lui
donne le sens suivant: chaque personne, qu'elle en soit consciente ou non, vit
un élan naturel à désirer le Bien et à rechercher la vie bonne. Désirer le Bien
et rechercher la vie bonne implique que cette recherche ne soit pas que pour
soi, mais aussi pour les autres: elle est pour tout le vivant. Cela explique
les réactions que l'on peut avoir devant la cruauté face à des animaux, devant
les problèmes touchant l'environnement, etc. Ceci est important, car c'est de cet
élan que jaillira la source du malaise face à une situation donnée.
L'éthique appliquée
Dans différents comités d'éthique la définition souvent
utilisée est celle de Jean-François Malherbe: "L'éthique, c'est le travail que je consens à faire avec d'autres dans
le monde pour réduire, autant que faire se peut, l'inévitable écart entre mes
valeurs affichées et mes valeurs pratiquées", autrement exprimé:
l'écart entre ce que je dis et ce que je fais. J'ai quelque peu modifié cette
définition en respectant son sens tout en dépassant la limite de la lettre de
cette définition. C'est qu'en terminant par «l'écart entre mes valeurs
affichées et mes valeurs pratiquées», cette définition rend éthique l'action
terroriste du Word Trade Center. En effet, il est certain, que pour les
terroristes, il n'y a pas eu d'écart entre leurs valeurs affichées et leurs
valeurs pratiquées, cela était tellement en accord, qu'ils ont donné leurs vies.
C'est la raison pour laquelle j'ai modifié cette définition en tentant de
fermer toute possibilité de mauvaise interprétation:
«Face à une situation donnant lieu à un malaise, le
travail que je consens à faire avec d'autres dans le monde, par le
dialogue, afin de discerner et décider les actions en créant une ouverture
au partage de sens pour toutes les personnes impliquées par la décision».
En terminant par «en créant une ouverture au partage de sens
pour toutes les personnes impliquées par la décision», l'acte terroriste, cette
fois-ci, ne peut être considéré comme éthique car, pour les personnes tuées
lors de cet événement, il n'y a vraiment pas eu de partage de sens.
Valeur
Pour la valeur, simplement je pourrais dire: a
de la valeur ce qui peut me motiver à entreprendre une action. La
dignité de la personne, son intégrité, la qualité des soins représentent des
motivations donnant des raisons d'agir et sens de l'action. L'argent, la
réussite à tout prix, l'image de soi, etc. peuvent être aussi des valeurs en ce
sens où elles donnent des raisons d'agir et sens de l'action, mais ne sont pas
nécessairement éthiques car il n'y a pas obligatoirement partage de sens pour
toutes les personnes impliquées par la décision. Cela peut être le profit pour
le profit, les raisons d'agir des gangs de rue, des groupes criminalisés. Eux,
ils trouvent des raisons d'agir et du sens à leurs actions.
Valeur avec sa
dimension éthique
A ce que l'on vient de dire " a une valeur ce qui peut
me motiver à entreprendre une action", si l'on ajoute: "et qui ouvre
au partage de sens pour toutes les personnes impliquées dans cette
action", Alors, l'argent pour l'argent; le pouvoir, pour le pouvoir; etc,
ne peuvent pas être éthiques car il n'y aura pas partage de sens pour toutes
les personnes impliquées par la décision
Nous pouvons maintenant aborder notre sujet: comment reconnaître un
problème éthique?
Un problème éthique provient d'un malaise que l'on ressent
devant une action, qui pour soi, provoque un non sens par le fait qu'une valeur
importante, pour soi, est bafouée. Cela peut survenir lorsque face à une
situation précise:
·
La situation ne peut être rattachée à aucune
norme, règle, code, etc. Cela peut ressembler, mais pas tout à fait.
·
Il y a conflit entre différentes normes, règles,
codes, etc. et les valeurs véhiculées.
·
Des normes, règles, codes, etc. ne sont pas
appliquées alors qu'elles devraient l'être.
· il serait possible de
défendre publiquement le caractère manifestement déraisonnable du respect d’une
norme ou de l’actualisation d’une valeur étant donné le caractère exceptionnel
de la situation.
Avant d'aller plus loin, il est
important de réaliser :
1.
Que si les normes, codes, lois, directives, etc.
ont été écrites c'était pour protéger des valeurs.
2.
Que lorsque je vis un malaise parce qu'une
valeur importante, pour moi, a été bafouée, cela ne veut pas dire que les
autres vivent la même chose que moi.
C'est pourquoi l'éthique appliquée ne peut se
travailler seul. Bien sur, on peut faire un bout de chemin; cependant, il est
sage de confronter notre subjectivité à celles des autres. Il est bien dit dans
la définition de l'éthique appliquée « le
travail que je consens à faire avec d'autres dans le monde ».
Pour résumer :
un problème éthique survient toujours lorsque, face à une situation donnée, la
personne ressent un malaise provoqué par un non-sens face à des valeurs, jugées
importantes, par rapport à sa dimension personnelle et ou professionnelle et ou
organisationnelle.
Des recherches récentes, dans le
domaine de la santé, démontrent que taire ces malaises et faire comme si nous
en vivions pas, pouvait conduire à des atteintes à l'identité personnelle, à
des pertes d'estime de soi, à de la détresse
« Une atteinte à l'identité peut conduire à composer avec une partie de
soi qui n'existe plus dans la dure réalité du travail, donc à une perte de
ressources ou de ressorts pour affronter les difficultés. Comme d'autres
processus de deuil induits par une rupture, le sujet manifeste des réactions de
détresse. S'il devient impossible de trouver une représentation de soi
valorisée, la détresse peut atteindre un degré de nocivité tel que l'équilibre
mental bascule dans la maladie ».[1]
En conclusion,
être attentif aux malaises ressentis face aux conflits de valeurs et y donner
suite en recherchant, avec d'autres, à construire du sens pour tous, permettra à
chaque personne de grandir dans son estime personnelle ainsi que de rendre
possible la transformation, toujours grandissante, d'un milieu de travail en un
milieu de vie.
[1] Bourbonnais, René, Brisson, Chantal, Simard, Claudine, Trude, 'Louis,
Vinet, Alain, Vézina, Michel, Vonarx, Nicolas, « Contraintes à l'œuvre et
sujets à l'épreuve. La
détresse psychologique au
travail montre des sujets
en quête de rapports
sociaux renouvelés par le dialogue », dans Béland, Jean-Pierre et al, « La
souffrance des soignants », PUL, Québec, 2009, 87 pages, p 43-72.