Alors que nous faisons tout ce chemin pour en arriver à
préciser notre cadre conceptuel de l'éthique personnelle, professionnelle et organisationnelle,
il peut sembler superflu de parler de sociétés. Cependant, les organisations ne
sont pas des entités indépendantes; elles n'ont leurs raisons d'être qu'en
société; indépendantes, non; autonomes, oui.
Après une recherche dans différents dictionnaires et encyclopédies,
nous nous sommes arrêtés sur la construction de la définition suivante : une
société est : "Un état de vie collective d’un ensemble de personnes
habitant un même territoire et vivant un sentiment d’appartenance issu de
normes, mœurs, coutumes et valeurs partagées".
Voilà à peine cinquante ans, au Québec le milieu était
monolithique avec pratiquement un seul code moral. La société québécoise était
constituée d’une population majoritairement française catholique et la minorité
anglaise était constituée majoritairement soit de protestants ou catholiques.
Français comme anglais étaient chrétiens. La mondialisation, l’immigration, la
perte des référents moraux : la perte de confiance envers les institutions :
le monde religieux, les organisations et même les personnes en tant
qu'individus (les contrats entendus sur la "parole donnée" ne sont,
aujourd'hui, pratiquement plus possibles), ont fait en sorte que le tissu
social s'est passablement désagrégé; il n'y a pratiquement plus d'appartenance
à des milieux de vie. Nous entendons rarement parler de fierté d'appartenance à
son pays, sa province, sa ville, son quartier, son école, ses organisations.
Reprenant notre conception de l'éthique et de l'éthique
appliquée dans leur différence et en même temps dans leur complémentarité, nous
pouvons dire que l'éthique appelle le sujet à advenir en authenticité dans son
rapport de relation entre le devenir-sujet et le vivre-ensemble et éveille le
désir d'appartenance des individus. L'éthique appliquée, comme réponse engagée
et responsable des sujets, devient alors un moyen de transformation; bien plus
qu'un mode de régulation sociale. Elle permet une autorégulation face aux
valeurs éthiques communes mises en lumière par le dialogue faisant émerger, du
même coup, un sentiment d'appartenance à une organisation : école, équipe de
sport, ville, pays, institution,
l'Humanité, la planète terre.
« Pourtant, l'idée même
d'autorégulation est celle qui traduit le mieux le rôle et la place de
l'éthique dans la vie en commun. En effet, elle exprime une responsabilisation
de la société civile, des communautés de personnes ou des organisations les
plus diverses; elle libère d'un recours automatique, en cas de conflit, à
l'arbitrage juridique de l'État. D'un côté, l'éthique ne saurait se réduire à
la seule régulation, car elle requiert un engagement personnel. Celui-ci peut
se déployer à travers les formes les plus diverses de l'engagement collectif,
en se transposant d'ailleurs dans des organisations fort variées. »[1]
« Et ses effets [pratique sociale de
l'éthique] nettement désirables, qui se présentent en termes de
responsabilisation (des individus, des collectifs et des organisations
d'appartenance) »[2].
C'est le sentiment d'appartenance basé sur la confiance
mutuelle qui donne la capacité pour le sujet à s'engager à prendre ses
responsabilités et à s'autoréguler.
« C’est donc à travers son appartenance
à différents groupes que l’individu acquiert une identité sociale qui définit
la place particulière qu’il occupe dans la société… Il n’est pas rare
d’entendre parler de « crise de l’identité » , qui se caractérise
par un manque d’appartenance à une communauté de valeurs, un sentiment
d’individualisme, un manque de repères »[3].
Yves Boisvert, de l’ENAP définit ainsi la compétence éthique :
•« L'individu qui possède la compétence
éthique n'a pas besoin d'être surveillé et/ou menacé de sanction pour savoir
bien se conduire.
•Il adopte par lui-même une conduite
irréprochable parce qu'il considère que c'est important de se conduire de façon
respectueuse lorsqu'on l'on cohabite avec les autres en collectivité ».[4]
La réalisation de la mission d'une organisation en harmonie
avec ses valeurs se réalise uniquement par l'engagement de ses différents
membres à son accomplissement. Le slogan de la compagnie DOFASCO ne disait-il
pas : « Notre fort, c'est l'acier; notre force, nos employés »[5].
Nous en induisons qu'il en va de la survie harmonieuse de
nos sociétés. « Convaincu de l'importance du sentiment d'appartenance,
Maslow conclut que toute société, si elle veut survivre, se doit de satisfaire
chez ses membres ce besoin d'appartenance. »[6]
En plus d'aider à construire un sentiment d'appartenance
autour de valeurs éthiques partagées, l'éthique appliquée, en réponse au
dynamisme de l'éthique au cœur des personnes à se vivre en humanité, peut
devenir le gardien pour que les conceptions morales, régulant la société,
correspondent toujours à l'évolution de sa population.
« En général, les discussions en
éthique appliquée s'enclenchent sur des questions d'autonomie, de respect de la
personne, de droits, d'égalité, de démocratie, bref sur des questions qui, dans
ce contexte, renvoient clairement à des valeurs et à des principes moraux.
Certains éthiciens pourraient penser, avec raison selon nous, que le discours
sur les valeurs, l'appel aux principes, ne sont pertinents dans un débat de ce
type que s'ils permettent, à la faveur de pratiques émergentes ou à la faveur
de pratiques sociales devenues problématiques dans un nouveau contexte, de
clarifier et d'approfondir les conceptions morales qui ont cours dans la
société, et de questionner, de ce point de vue, la cohérence de pratiques
actuelles et futures »[7].
[1] Giroux Guy, "les besoins auxquels
obéit la demande d'éthique dans la société, dans : Lacroix André et Létourneau
Alain et al, "Méthodes et interventions en éthique", Québec, Fides,
2000, 269 pages, 75-92, p 91
[3] Bouvrand, Emile, "Communautés
virtuelles et identité sociale : Les communautés virtuelles où la création
d’une identité sociale nouvelle ?", http://a-brest.net/article3621.html, 23 octobre 2007
[4] Boisvert, Yves, "Développement
d'une compétence éthique : un exemple d'opérationnalisation de l'éthique
appliquée", ENAP, PowerPoint présenté dans le cadre du cours ETA 737
"Intervention en éthique", automne 2007, 21 diapositives, diapositive
#8, voir annexe 1.
[5] D'Anjou, René, http://www.editionbeauce.com/actualites.asp?nID=3121&Cat=1, 11 mai 2007, 5 novembre 2007
[6]Lepage-Simard, Guillaume "Le sport
interscolaire : un moyen pour accroître le sentiment d'appartenance d'une
population étudiante", mémoire présenté à la faculté des études
supérieures de l'Université Laval, avril 1999 http://www.collectionscanada.ca/obj/s4/f2/dsk1/tape8/PQDD_0008/MQ41946.pdf
[7]Couture, Jocelyne, "Philosophie
morale et éthique appliquée", dans Lacroix André, et Al, "Éthique
appliquéee, éthique engagée, réflexions sur une notion", Liber, Montréal
2006, 146 p
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