Avant de commencer, il est bon de se rappeler que par ses référents écologiques, matériels et physiques, historiques, culturels, psychosociaux, chaque être humain est unique[1]. La façon de percevoir un contexte variera d'un individu à l'autre. Il en est de même pour définir l'éthique et l'éthique appliquée. C'est pourquoi il y a tant de définitions différentes pour l'éthique appliquée. Bien sûr, notre conception est subjective. Cependant, la réflexion, le dialogue et la fréquentation de différents auteurs nous orientent vers une présentation d'une conception qui tend à être universelle, c'est-à-dire où la majorité peut s'y reconnaître et s'y sentir à l'aise.
Afin de situer le lecteur, il nous apparaît important de
situer notre conception de l'Éthique. Nous la voyons se séparant en deux
branches distinctes soit : l'éthique et l'éthique appliquée. Tout d'abord, nous
présenterons nos deux définitions et nous pourrons alors exprimer en quoi notre
conception, en ces deux définitions, semble rejoindre celle d'Aristote et de
Paul Ricœur.
Éthique : Au
cœur du désir inconscient de la personne et ontologique à elle, elle est la
propension à désirer la vie bonne et à rechercher le Bien. Elle est perçue,
dans la personne, sous les formes d'invitations, d'aspirations, d'intuitions,
souvent en la médiation des relations intersubjectives à laquelle elle
participe, vers la réalisation de l'Humanité.
Éthique appliquée
: En rapport à une situation donnant lieu à un malaise, le travail que je
consens à faire avec d'autres dans le monde, par le dialogue, afin de discerner
et décider les actions en créant une ouverture au partage de sens pour toutes
les personnes impliquées par ces actions.
Paul Ricœur, dans son essai "De la morale à l'éthique
et aux éthiques"[2], en
voulant situer l'éthique par rapport à la morale dira : « Je vois
alors le concept d'éthique se briser en deux, une branche désignant quelque
chose comme l'amont des normes – je parlerai alors d'éthique antérieure -, et
l'autre branche désignant quelque chose comme l'aval des normes – et je
parlerai alors d'éthique postérieure […] L'éthique antérieure pointant vers
l'enracinement des normes dans la vie et le désir, l'éthique postérieure visant
à insérer les normes dans des situations concrètes »[3].
Cette distinction nous semble importante, car, lors d'un
discernement relativement à une recherche de la "vie bonne" dans les
situations concrètes de l'existence, souvent, nous distinguons aisément un
écart entre le désir et l'action, entre les valeurs affichées et les valeurs
pratiquées. Au cœur de cette distinction se révèle la motivation, élément
essentiel, dans cet entre-deux, lieu de la décision que nous situons dans l'axe
de l'intersubjectivité.
Dans "l'Éthique à Nicomaque", Aristote en fait
l'analogie avec des joueurs de cithare en distinguant un joueur de cithare et
un bon joueur de cithare, bien que les deux aient la même disposition au
départ. Il parlera alors de l'homme vertueux qui décidera et se mettra en
action de réaliser d'être un bon joueur de cithare. Il dira « le bien pour
l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu et, au cas
de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite
d’entre elles »[4].
Par ailleurs, Ricœur semble reprendre cette façon de voir en
écrivant :
« La tâche d'être
homme déborde et enveloppe toutes les tâches partielles qui assignent une visée
de bonté à chaque pratique. Quant au dénombrement de ces excellences de l'action
que sont les vertus, il ne doit pas barrer l'horizon de la méditation et de la
réflexion. Chacune de ces excellences découpe sa visée du bien sur le fond
d'une visée ouverte magnifiquement désignée par l'expression de la vie bonne ou
mieux du vivre bien; cet horizon ouvert est peuplé par nos projets de vie, nos
anticipations de bonheur, nos utopies, bref par toutes les figures mobiles de
ce que nous tiendrons pour les signes d'une vie accomplie »"[5].
De même, nous trouvons chez Aristote une certaine adéquation
dans la visée de l'action que nous proposons dans nos définitions; l'éthique
appliquée, n'a de raison, d'être, que pour réaliser des actions qui ont pour
but le désir de l'éthique (éthique antérieure ou fondamentale de Ricœur) :
la réalisation de l'humanité.
« Si donc il y a, de nos activités,
quelque fin que nous souhaitons par elle-même, et les autres seulement à cause
d’elle [...], il est clair que cette fin-là ne saurait être que le bien, le
Souverain Bien. [...] S’il en est ainsi,
nous devons essayer d’embrasser, tout au moins dans ses grandes lignes, la
nature du Souverain Bien, et de dire de quelle science particulière ou de
quelle potentialité il relève [...] Or une telle science est manifestement la
Politique car c’est elle qui dispose quelles sont parmi les sciences celles qui
sont nécessaires dans les cités [...] la fin de cette science englobera les
fins des autres sciences ; d’où il résulte que la fin de la Politique sera
le bien proprement humain »[6].
Nous terminons ce point en mettant en lumière que, selon
notre conception, l'éthique ne peut exister sans l'éthique appliquée et
vice-versa. De plus, pour nous, il se révèle essentiel, de les distinguer afin,
comme c'est souvent le cas, de ne pas donner de prise à l'ambigüité. Nous trouvons
chez Ricœur une façon de le dire manifestement plus précise que nous serions à
même de le faire :
« La seule façon de prendre possession
de l'antérieur des normes que vise l'éthique antérieure, c'est d'en faire
paraître les contenus au plan de la sagesse pratique, qui n'est autre que
l'éthique postérieure. Ainsi serait justifié l'emploi d'un seul terme – éthique
– pour désigner l'amont et l'aval des normes. Ce ne serait donc pas un hasard
que nous désignons par éthique tantôt quelque chose comme une métamorale, une
réflexion de second degré sur les normes, et, d'autre part, des dispositifs
pratiques invitant à mettre le mot éthique au pluriel et à accompagner le terme
d'un complément comme quand nous parlons d'éthique médicale, d'éthique
juridique, d'éthique des affaires, etc. L'étonnant en effet est que cet usage
parfois abusif et purement rhétorique du terme éthique pour désigner des
éthiques régionales, ne réussit pas à abolir le sens noble du terme, réservé
pour ce qu'on pourrait appeler les éthiques fondamentales telles L'Éthique à
Nicomaque ou l'Éthique à Spinoza »[7].
[1] Voir à cet effet Mucchielli Alex,
"L'identité en sciences humaines", dans "L'identité", Que
sais-je? PUF, 1986, 123 pages, p 5-39; p 12‑29
[2] Ricœur,
Paul, "De la morale à l'éthique et aux éthiques", dans "Le Juste
2", Édition Esprit, Paris, 2001, 297 pages, p 55-68.
[3] Ricœur,
Paul, "De la morale à l'éthique et aux éthiques", dans "Le Juste
2", Édition Esprit, Paris, 2001, 297 pages, p 55-68, p 56
[4] Tricot, J.
"L'éthique à Nicomaque",
[5] Ricœur,
Paul, "De la morale à l'éthique et aux éthiques", dans "Le Juste
2", Édition Esprit, Paris, 2001, 297 pages, p 55-68, p 60
[6] Tricot, J. "L'éthique à Nicomaque", http://pedagogie.ac‑montpellier.fr/Disciplines/philosophie/ressources/ethique_nicomaque.doc, p 2
[7] Ricœur, Paul, "De la morale à l'éthique et aux
éthiques", dans "Le Juste 2", Édition Esprit, Paris, 2001, 297
pages, p 55-68, p 56
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire